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« Notre bateau était très petit et les vagues très grandes » : récits de traversées de la Manche


Au Royaume-Uni, ceux qui sont parvenus à traverser la Manche depuis les côtes françaises se souviennent à l’unanimité de moments terribles, piégés entre deux pays, sur de minuscules embarcations, incapables de communiquer avec les immenses ferry et porte-conteneurs qui balaient les eaux autour d’eux. Ces migrants racontent aussi ne pas avoir pris la mesure du danger avant d’embarquer sur des canots souvent en mauvais état. Récits.

Charlotte Oberti, envoyée spéciale à Londres et à Folkestone (Kent).

Ils sont trois visages parmi des milliers : Jihad Mohamed Wasfi, Zubair Arsalan et Esmatullah Fetrat, tous âgés de la vingtaine, ont traversé la Manche sur des embarcations à l’automne 2021. Ils sont partis des côtes du nord de la France, en pleine nuit ou au petit matin, dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre et de commencer une vie meilleure.

Des embarcations utilisées par des migrants pour traverser la Manche, dans le port de Douvres, fin avril 2022. Crédit : InfoMigrants
Des embarcations utilisées par des migrants pour traverser la Manche, dans le port de Douvres, fin avril 2022. Crédit : InfoMigrants

Les bateaux utilisés pour traverser la Manche sont sommaires : il s’agit de canots pneumatiques, dont l’intérieur a parfois été agrémenté de planches de bois. Des embarcations inadaptées aux forts courants de cette mer, l’une des voies maritimes les plus passantes au monde.

Récits de rescapés.

Jihad Mohamed Wasfi, originaire de la province de Dohuk, au Kurdistan irakien, 27 ans 

« Je suis parti de Dunkerque un soir de fin septembre. La nuit avant le départ, j’étais sur une plage. Il pleuvait. J’ai attendu jusqu’à 7h du matin. Puis le passeur nous a dit que c’était le moment.

Nous étions 59 personnes sur le bateau, dont trois ou quatre enfants, et deux femmes. C’était un ami du passeur qui conduisait.

Dix ou quinze minutes après notre départ, de l’eau est entrée dans le canot parce qu’il était surchargé. Les gens ont commencé à hurler. On a demandé à retourner sur la terre ferme mais le conducteur n’a pas voulu faire demi-tour.

J’ai eu si peur de couler que j’ai jeté le manteau que je portais à l’eau. Je me suis dit que ça m’aiderait.

Plusieurs personnes, dont les femmes et les enfants, ont alors sauté à l’eau. On était proches du port de Dunkerque : les gens à l’eau ont nagé jusqu’à la digue. Moi je ne sais pas nager donc je n’ai pas sauté. Vingt personnes sont restées à bord.

Dans la panique, j’ai eu si peur de couler que j’ai jeté le manteau que je portais. Je me suis dit que si je tombais à l’eau, ça m’aiderait de ne pas avoir mon manteau sur le dos pour pouvoir essayer de nager.

On a réussi à enlever l’eau qui était dans le bateau et on a continué la route.

La digue du port de Dunkerque sur laquelle les passagers du bateau de Jihad Mohamed Wasfi ont trouvé refuge. Crédit : Google maps
La digue du port de Dunkerque sur laquelle les passagers du bateau de Jihad Mohamed Wasfi ont trouvé refuge. Crédit : Google maps

J’ai essayé d’appeler les garde-côtes français et britanniques, tout le temps. Les Français nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous aider. Au bout d’un moment, le conducteur m’a demandé d’arrêter d’appeler, il a dit : ‘Nous arriverons par nous-mêmes’.

>> À (re)lire : « C’est impossible de penser au futur » : en Angleterre, l' »hostilité » d’un système d’accueil ultra verrouillé

Il y avait beaucoup de vagues. On avait peur de mourir. On a vu des ferries. Les gens [les passeurs, ceux qui organisent les traversées, selon Jihad Mohamed Wasfi, ndlr] ne savent pas qu’il y a de gros navires dans la Manche, ils pensent qu’il n’y a que des policiers français et britanniques.

Il était 11 heures quand on a vu les falaises blanches de Douvres. Dans le ciel, un hélicoptère volait vers nous. Puis un bateau des garde-côtes [britanniques] est venu à notre secours. »

Zubair Arsalan, originaire de Piranshahr, Azerbaïdjan occidental, Iran, 24 ans

« Le 7 octobre, à 5h du matin, j’étais caché dans des dunes à Dunkerque en attendant le départ. J’avais pris à boire, à manger et quelques habits dans un sac, c’est tout. On avait pour ordre de ne pas trop se charger.

Nous étions environ 25 hommes, tous jeunes. Les passeurs nous ont poussés sur le bateau. J’étais terrifié car il y avait beaucoup de vagues.

Durant la traversée, le moteur du bateau s’est arrêté deux fois car de l’eau était entrée dedans. La seconde fois, on est restés à l’arrêt pendant 10 minutes, au milieu de la Manche.

Un autre passager m’a donné le nom de son père, au cas où.

On avait peur. On a aperçu un ferry qui passait au loin mais les gens à bord ne pouvaient pas nous voir. Les deux fois, on a réussi à réparer le moteur et à repartir.

Des migrants courent se cacher dans les dunes de la Slack, à Wimereux, dans le nord de la France, pour ne pas se faire voir par la police, le 8 septembre 2021. Il est 5h du matin, ils veulent tenter la traversée de la Manche. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants
Des migrants courent se cacher dans les dunes de la Slack, à Wimereux, dans le nord de la France, pour ne pas se faire voir par la police, le 8 septembre 2021. Il est 5h du matin, ils veulent tenter la traversée de la Manche. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants

Dans le bateau, il y avait un jeune Kurde, comme moi. Il pleurait. Normalement, on n’a pas le droit de bouger quand on est sur le canot mais moi je me suis rapproché de lui, pour le calmer. Il ne savait pas nager, il avait peur de mourir. Il a voulu me donner le nom de son père et m’a demandé de le retenir au cas où il lui arriverait quelque chose.

>> À (re)lire : Depuis les côtes anglaises, ces citoyens britanniques à l’affût des bateaux de migrants

Quand tu es en mer, tu penses à ta famille, à tes proches, tu te dis : ‘Peut-être que je ne les reverrai jamais, peut-être que c’est mon dernier jour’. Moi, je pensais surtout à ma mère. La dernière fois que je l’ai vue en vrai, c’était le 19 août 2021, mais sinon, je la vois tous les jours en visio. »

Esmatullah Fetrat, originaire de la province de Ghazni, en Afghanistan, 25 ans

« On est parti à minuit dans la nuit du 2 au 3 novembre. C’était une nuit claire, avec une lune brillante. Je ne sais pas d’où on est parti. Peut-être Calais ? Aucune idée. On a attendu plusieurs heures dans une sorte de forêt avant que le passeur vienne nous chercher. On était 35 personnes.

Nous avons rapidement été en danger. Notre bateau était très petit et les vagues très grandes. Je ne savais pas que ça prendrait autant de temps, que la mer était dangereuse et que le bateau serait si petit.

Un bateau des forces frontalières britanniques, dans le port de Douvres. Crédit : InfoMigrants
Un bateau des forces frontalières britanniques, dans le port de Douvres. Crédit : InfoMigrants

Pendant la traversée, le canot s’est percé. On ne voyait pas le trou mais de l’eau entrait. C’était horrible. On pensait qu’on allait mourir. J’avais un gilet de sauvetage, comme tout le monde, mais je ne sais pas nager. On a tous essayé d’enlever l’eau qui entrait mais on avait si peu de place pour bouger qu’on ne pouvait pas tous se pencher.

Personne ne parlait. C’était le silence.

Puis le moteur s’est arrêté. Pendant 30 minutes, peut-être une heure, le bateau ne bougeait plus. On était perdu au milieu de la mer.

Il y avait beaucoup d’autres bateaux autour de nous, c’était des gros paquebots qui transportaient des marchandises et pas des passagers. On a essayé de leur faire signe pour les appeler à l’aide mais ils ne nous ont pas vus. On n’avait pas de lumière pour attirer leur attention.

Dans le bateau, je ne connaissais personne, je n’ai parlé à personne. Tout le monde avait peur, ça se sentait. Personne ne parlait. C’était le silence.

Je ne sais pas quelle heure il était, ni combien de temps tout cela a duré. Peut-être 5 heures au total ? Je n’étais pas en mesure de faire attention à ça. Au final, nous avons tous été secourus. Je ne me souviens plus de rien à part ça. »



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