Culture

Pourquoi la porte de Bibracte est la proie des bulldozers


PATRIMOINE – De nouvelles données scientifiques ont fait évoluer la connaissance des remparts gaulois décrits par Jules César.

L’enceinte gauloise de l’oppidum invaincu de Bibracte s’effondre sous des assauts répétés. Ses poutres de bois s’écroulent, balayées dans le même mouvement qui emporte les assises de pierre. Faute d’armée assiégeante, seule une pelle mécanique préside à cette dévastation programmée de la citadelle des Éduens, cet ancien peuple gaulois allié de Rome. Les images de la démolition ont suscité, le 23 mars, quelques incompréhensions. L’indignation était éphémère : le rempart d’accès à l’oppidum du mont Beuvray (Bourgogne-Franche-Comté) ne datait pas de l’âge du Fer mais de l’an 2000. Après Jésus-Christ, bien entendu.

«Les travaux engagés sur le site correspondent à une nouvelle philosophie, à une nouvelle manière d’envisager la présentation au public des bastions de l’oppidum», précise l’archéologue Andrea Fochesato, conseiller scientifique auprès du musée de Bibracte. Malgré les images spectaculaires des murailles abattues, l’opération en cours sur le site, à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Autun, tient davantage de la rénovation que de la démolition – ou plutôt du démontage. Car vingt ans après la construction de cette reproduction de la porte du Rebout, les connaissances scientifiques au sujet des murailles gauloises – le murus gallicus – ont connu des progrès décisifs.

La Porte du Rebout, dans son second état de restitué, tel qu’il apparaissait au mont Beuvray en 2021. Bibracte, musée et site archéologique

Vers un «murus gallicus» affiné

L’élévation en pierres sèches ponctuées de pieds de rondins de chêne laissera bientôt la place à un autre agencement fortifié : une muraille rythmée de longues poutres longitudinales. «Il s’agit d’une variante bien connue du murus gallicus dit classique que restituait le modèle en cours de démontage», signale Andrea Fochesato. Or depuis une quinzaine d’années, les découvertes réalisées sur plusieurs chantiers de fouille laissent supposer que la variante était peut-être plus répandue que prévu. «Il nous manque toujours des données, souligne l’archéologue. Mais les différentes fouilles menées à Bibracte depuis 2012, ainsi que des découvertes prometteuses réalisées en 2014 sur la colline de Fourvière, à Lyon complètent nos précédents modèles».

Fortification gauloise par excellence, le murus gallicus est bien connu des historiens, grâce à la description exhaustive laissée par Jules César, dans un passage de ses Commentaires sur la guerre des Gaules. Mais les mots du général et dictateur romain du Ier siècle avant notre ère ne suffisaient pas à bien rendre compte de ce genre particulier de muraille. L’archéologie, comme souvent, a complété petit à petit les lacunes du texte. Un chantier expérimental aboutit, à Bibracte, à une première restitution en 1991. Elle s’affaisse en deux hivers.

L’archéologue Andrea Fochesato face à un tronçon de la nouvelle restitution de murus gallicus privilégiée pour le réaménagement de la Porte du Rebout. Bibracte, musée et site archéologique

Plus résistante, la seconde muraille donne désormais aussi des signes de faiblesse. Son talon d’Achille ? Ses poutres, dont le bois vieillit et pourrit de calendes en calendes. Leur putrescence naturelle n’a rien d’anormale. «La porte du Rebout a été édifiée vers 90 av. J.-C. et reconstruite à quatre reprises jusqu’à l’abandon du site, au tournant du siècle, rappelle Andrea Fochesato. Cela veut dire que, même pendant l’Antiquité, l’enceinte était souvent reprise et refaite. Une fréquence de 20-25 ans entre deux chantiers est attestée sur d’autres sites où des bois de murus gallicus ont pu être conservés, grâce à un milieu humide.» Vingt ans après la muraille restituée de l’an 2000, le musée de Bibracte prolonge à sa façon cette tradition.

Voir l’Antiquité ainsi que le XIXe siècle

Le chantier mis en branle aux bastions de l’oppidum ne se limitera pas à une énième reproduction de mur antique. La nouvelle restitution, conçue par l’atelier grenoblois Multiple et déconnectée de l’extension du musée de Bibracte financée par le plan France Relance, métamorphosera le paysage de l’oppidum contemporain. La nouvelle scénographie déploiera un spectacle plus discret : celui d’une motte de gazon à pente raide. «Le talus reproduira en partie l’aspect originel du site, au moment de sa découverte et avant les premiers travaux archéologiques effectués à partir de 1867», indique Andrea Fochesato.

Aperçu de la Porte du Rebout telle qu’elle apparaîtra à la fin des travaux, en juillet 2022. Le talus fera face aux visiteurs entrant, tandis que la troisième restitution de murus gallicus sera circonscrite sur l’arrière de la structure. Atelier multiple

Une fois passés par la porte, les visiteurs découvriront la nouvelle restitution sur l’arrière des deux bastions de l’ancienne entrée monumentale de Bibracte. «L’idée de ce volume réduit était de relativiser les précédentes restitutions absolues, argumente le chercheur. Nous présenterons donc une vision des remparts, tels qu’ils apparaissaient au XIXe siècle, adossés à l’hypothèse actuellement privilégiée de leur restitution.» Le nouveau système visera à atténuer «l’impact volumétrique actuel de la restitution, sur un site qui comprend peu d’ouvrages en élévation». Il sera, accessoirement, moins cher à mettre à œuvre. D’autant qu’une portion de l’actuelle enceinte sera préservée, curiosité archéologique oblige.

La troisième version du murus gallicus expérimental de Bibracte devrait être inaugurée début juillet. Les murailles historiques de l’oppidum, elles, ont disparu depuis plus de deux millénaires, avec l’abandon du site au profit de la ville alors nouvelle d’Augustodunum – Autun. Le pouvoir romain y avait fait installer, sous Auguste, les quelque 5000 à 10.000 habitants du site fortifié, plusieurs années après la conquête de la Gaule, en 52 avant notre ère. Les vestiges d’une poignée d’édifices attestent encore aujourd’hui de cette transition, dont une domus et une basilique typiquement romaines. Des structures bientôt rejointes par la vraie-fausse enceinte gauloise conçue à Grenoble.

À VOIR AUSSI – L’expresso italien candidat au patrimoine mondial de l’Unesco



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