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« Babouchka Z », l’improbable nouvelle coqueluche de la propagande russe


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Une étrange statue a été inaugurée, jeudi, par les soldats russes qui occupent Marioupol en Ukraine. Elle représente une vielle femme tenant un drapeau soviétique. Un choix qui ne doit rien au hasard et qui a tout avoir avec « Babouchka Z », une improbable paysanne ukrainienne apparue sur une vidéo tournée par des soldats ukrainiens et qui représente la nouvelle icône de la propagande de Moscou.

En Russie, personne ne l’appelle par son vrai nom, dont on n’est pas sûr. Elle est simplement devenue la “Babouchka Z” – en référence à la lettre qui est devenue le symbole de l’”opération spéciale russe” en Ukraine, terminologie officielle du Kremlin pour désigner la guerre  – ou la “Babouchka de la victoire”.

Ces dernières semaines, cette Ukrainienne d’un certain âge a été érigée en star parmi les Russes pro-guerre et en nouvelle égérie de la propagande du Kremlin. Des pancartes géantes la représentent brandissant un drapeau soviétique à Moscou, des cartes postales à son effigie – toujours avec le même étendard – sont vendues à travers toute la Russie.

Une babouchka qui croit accueillir les « libérateurs russes »

Elle a fait l’objet de plusieurs reportages à la télévision russe début avril, et un artiste a fabriqué des figurines en bois à son effigie, rappelle le Moscow Times. 

À Marioupol, les forces d’occupation ont même inauguré, jeudi 5 mai, une statue représentant la “Babouchka Z” en présence de Sergueï Kirienko, directeur adjoint de l’administration présidentielle russe. 

Pourtant, cette retraitée ne semble pas sortir de l’ordinaire, si ce n’est qu’elle correspond aux canons de la paysanne de l’époque soviétique. Mais en réalité, son histoire “colle parfaitement à tous les éléments de langage de la propagande russe actuelle”, assure Joanna Szostek, spécialiste des médias et de la communication politique en Russie à l’université de Glasgow.


La “Babouchka Z” est apparue pour la première fois le 7 avril dans une vidéo surréaliste prise par des soldats ukrainiens. On y voit les militaires s’approcher d’une petite ferme dans le Donbass, d’où sort une vieille femme tenant fièrement à bout de bras le drapeau soviétique. Étonnés mais pas démontés, les Ukrainiens lui tendent de la nourriture et lui prennent le drapeau. Elle commence par accepter puis la leur rend quant elle comprend qu’elle n’a pas affaire à des “soldats russes venus la libérer” mais à des Ukrainiens qui, insulte suprême à ses yeux, piétinent ledit drapeau… Depuis, une seconde vidéo a été diffusée sur Telegram qui affirme que cette femme s’appellerait Anya et vivrait près de Dvorichna, à cinq kilomètres de la ligne de front.

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La vidéo initiale « illustre parfaitement le choc des mémoires sur lequel joue toute la propagande poutinienne”, note Jaroslava Barbieri, spécialiste des relations de la Russie avec les États de l’ex-URSS à l’université de Birmingham. Il y a, d’un côté, l’expression de “la déception des soldats ukrainiens qui rencontrent, incrédules, une Ukrainienne pour qui les Russes sont les bons, et de l’autre, cette vieille femme qui a encore l’image des soviétiques libérateurs de l’époque de la Seconde Guerre mondiale”, poursuit-elle.

Difficile d’imaginer “récit plus idéal pour le Kremlin”, estime Stephen Hutchings, spécialiste des médias russes à l’université de Manchester. Tout d’abord, c’est un “rare exemple de soutien populaire en Ukraine à l’opération militaire russe et à sa justification officielle”, note cet expert. De quoi donner un peu de chair à cette propagande de Vladimir Poutine autour des soldats russes qui, à l’instar des héros soviétiques de la Grande Guerre patriotique, viendraient libérer l’Ukraine des griffes fascistes. 

Nouvelle icône de la “mère Russie” ?

À cet égard, c’est du pain bénit pour les médias russes. “La télévision russe traite de cette ‘opération spéciale’ en continu et des exemples comme celui-ci humanisent leur couverture. En plus, passer cette histoire en boucle permet de cacher le fait qu’il est très difficile de trouver des Ukrainiens prêts à accueillir de manière aussi positives les soldats russes”, souligne Precious Chatterje-Doody, spécialiste de la communication politique et des relations internationales à l’Open University au Royaume-Uni.

 

 

La “Babouchka Z” a une autre qualité : c’est un “rare exemple de message positif pour la Russie qui vient de la base et non pas des services de propagande”, souligne Joanna Szostek. Cette vidéo, authentifiée par des médias ukrainiens, n’est pas une création des autorités qui a ensuite été promue sur tous les réseaux sociaux par les groupes pro-russes sur Internet. “Depuis le début de la guerre, Moscou essaie de donner un aspect le plus spontané possible à sa propagande et là, c’est livré sur un plateau”, reconnaît Stephen Hutchings.

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Que demander de plus ? Le drapeau soviétique ; cerise sur ce gâteau de propagande. L’image de cette retraitée avec son étendard “évoque l’iconographie de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les affiches mettaient souvent en scène des grand-mères censées représenter la ‘mère Russie’ ou encore ‘mère patrie’”, rappelle Stephen Hutchings.

Quand on sait à quel point Vladimir Poutine abuse du parallèle entre la Russie d’aujourd’hui et celle de l’ère soviétique, on devine que l’irruption de cette “Babouchka Z” a dû l’enchanter. “Sa représentation permet de glorifier l’ancienne génération, qui appelle la nouvelle à réitérer les succès d’antan. C’est une occasion de plus pour Vladimir Poutine de pousser les Russes à vivre dans le passé, en espérant qu’ils ne se rendent pas compte qu’il ne leur offre pas de perspectives”, résume Jaroslava Barbieri.

Et le fait que cette nouvelle icône de la “mère patrie” soit une humble paysanne ukrainienne n’a que des avantages pour Moscou. Cela permet, d’une part, de suggérer que la guerre se “fait au nom d’un seul et même peuple, ce qui rejoint le nouveau récit russe qui a commencé à remplacer le concept de ‘dénazification‘ du pays par celui de ‘dé-ukrainisation’”, souligne Stephen Hutchings. Et cette “glorification de la retraitée d’origine modeste permet de suggérer que la Russie se place du côté des gens ordinaires qui jouent ici les premiers rôles”, souligne Jaroslava Barbieri.

Cette “Babouchka Z” est donc une arme de propagande massive qui tombe, en outre, au meilleur moment possible. Si les médias usent et abusent de cette femme au drapeau soviétique actuellement, c’est que le 9 mai et son cortège de symboles arrive à grand pas. Moscou va organiser son grand défilé en mémoire de la victoire soviétique sur les nazis, et pour Stephen Hutchings, “il y aura sûrement une place pour cette ‘Babouchka Z’ dans les cérémonies”.



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